Parachutisme

 

Mes sauts ...

octobre 1972 - août 1973

La plupart des gens, et moi le premier, parlent du vertige lorsque l'on a peur de monter sur une échelle ou de marcher le long d'une falaise. Or le "vrai" vertige correspond à une sensation de rotation ou de déplacement latéral du corps par rapport à l'espace environnant (ou vice-versa).
J'ai découvert récemment que ce que j'appelais faussement vertige était en fait de l'acrophobie.
L'acrophobie fait partie des phobies les plus courantes dans la population. Plus intense qu'un simple vertige, elle se traduit par une peur excessive et irrationnelle des hauteurs et du vide en l'absence de tout danger réel. Cette phobie peut toucher n'importe qui, n'importe quand.

Ayant depuis tout jeune cette peur du vide je cherchai des moyens de la combattre. Il m'est venu à l'idée d'essayer de l'apprivoiser avec des sauts en parachute. Je réussis de partager cette envie avec mon épouse de l'époque, ainsi qu'un couple d'amis.
Nous nous sommes inscrits à des cours en salle, pour apprendre les roulés-boulés obligatoires pour une bonne réception au sol, et faire notre premier saut d'initiation. Il faut préciser qu'à l'époque, en 1972, les parachutes n'étaient pas les mêmes modèles qu'actuellement. Le saut d'initiation se faisait avec un modèle TAP (hémisphérique: le modèle des paras américains de la 2ème guerre mondial) avec une vitesse à l'atterrissage de 30 km/h. Donc roulé-boulé nécessaire pour préserver sa colonne vertébrale. Autre précision, tous les sauts se faisaient en solo, le moniteur restait dans l'avion et faisait un débriefing après le saut.

Le samedi 21 octobre 72 nous nous sommes rendu à l'aérodrome d'Ecuvillens et nous avons fait notre saut d'initiation. Notre moniteur nous avait conseillé de croiser les couples. Liliane, ma femme de l'époque, monta dans l'avion avec notre ami Jean-Pierre et Chantal, son épouse, et moi prenions l'avion qui rejoignait la piste après le largage des précédents.
La cabine était sans porte ni siège à droite. J'étais donc assis par terre, le moniteur sur le siège arrière de droite (derrière moi) et Chantal, sur le siège arrière de gauche, devait passer par dessus les genoux du moniteur pour prendre ma place après mon saut. Arrivé au-dessus du lieu de largage, le moniteur me demanda de sortir de l'avion en mettant les pieds sur le marche-pieds et de me tenir à l'hauban sous l'aile. Bien évidement je ne regardais pas en bas mais droit devant et quand il a dit "Go!" je lâchai tout en pensant : "C'est fini, je vais mourir".
Après 5 secondes de chute - qui me parurent une éternité - le parachute s'ouvrit avec un gros choc qui me donna l'impression de remonter; le passage de 120 km/h à 30 km/h. Et là quel silence ! L'avion s'éloignant emportant avec lui son bruit de moteur, je regardai enfin en bas, autour de moi, sans peur, un paysage magnifique dans une quiétude apaisante. Quand je pris coscience que La terre montait rapidement à ma rencontre et je me concentrai sur ma position et ma réception telles que nous les avions apprises.
Touché, roulé et rabattage des sangles du parachute pour ne pas se laisser emporter avec la brise. Chantal arriva et Jean-Pierre qui nous attendait, tout seul, m'informa que ma femme avait raté son atterrissage (elle était tombé à plat sur le dos) et qu'elle était à l'aérodrome; mais heureusement rien de cassé.

Etonnamment, le mardi 24, 3 jours après notre premier saut, ma femme me dit : "je ne veux pas rester sur un échec, on y retourne". Je ne me fis pas prier car j'avais qu'une envie c'était de rcommencer et de continuer. Ce 2ème saut se passa très bien mais elle ne voulut plus en faire d'autre.

Je laissai l'hiver passer pour, en juillet 73, m'offrir la licence provisoire (voir ci-dessous), 17 sauts payables à l'avance, et cloturé par un examen final.

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Ma licence provisoire

Comme vous pouvez le voir sur mon carnet de sauts, ce n'était plus le même modèle de parachute pour les sauts de licences. Le vieux TAP était rangé aux oubliettes pour le modèle TU qui avait l'avantage d'offrir une reception au sol à 15 km/h. et 2 ouvertures sur l'arrière permettant de se diriger. Dans les sauts d'initiation, le moniteur donnait l'axe de vol au pilote et donnait le "Go" en fonction de la vitesse du vent pour arriver dans le secteur de la cible. Avec le modèle TU le but était d'arriver le plus proche de la cible en utilisant la fermeture d'une des ouvertures pour se diriger et la fermeture des 2 pour freiner à l'atterrissage.
Après le retour au hangar des parachutes le moniteur inscrivait sur le carnet des remarques sur le saut et le travail à corriger; cambrer plus, bon saut, etc.
Ces 5 premiers sauts m'ont donné beaucoup de plaisir, mais on nous avait averti que l'on passe tous un jour par un saut de panique. C'est rarement le premier, car on ne sait pas ce qui nous attends, mais ça se passe dans les suivants. Et pour moi ce fut le sixième…

Ce jour-là, le 11 août 1973, il y avait pas mal de vent et nous ne savions pas si l'on pourrait sauter. Nous étions tous à la buvette de l'aérodrome dans l'attente d'une accalmie. Je tiens à préciser que contrairement à d'autres, qui buvait de l'alcool pour se donner du courage, je n'ai jamais bu une goutte voulant être très lucide pour savourer les sensations (ou les peurs) que me procuraient les sauts. Donc j'étais devant un soda et j'avais détaché mes bottes pour être plus à l'aise. Soudain, le moniteur entre et nous annonce que le vent est tombé. Il faut faire vite avant qu'il reprenne et je suis choisi, avec un fille, pour le premier décollage. Nous enfilons nos parachutes en nous dirigeant vers l'avion qui est prêt à décoller. Je suis assis comme d'habitude pour sauter en premier. Je contrôle, pendant que l'on prend de l'altitude, les sangles du parachute, mais j'oublie complètement que mes bottes ne sont pas lacées.
Le moniteur me dit de donner les directives au pilote. Je ne l'avais jamais fait auparavant, donc je dois regarder le sol et je m'aperçois qu'il est vraiment loin… Je vais sous l'aile, mais je ne veux plus sauter et je dis que je veux revenir dans l'avion. Voyant que je ne veux pas lâcher le hauban sous l'aile, le pilote met les gazes à fond et fait un battement des ailes: Je me trouve malgré moi dans le vide et quand mon parachute s'ouvre je m'aperçois que le temps, que j'ai passé accroché sous l'aile, m'a amené trop loin de la cible.
Je décide de me diriger vers un terrain de football. Il y a un employé qui tond la pelouse avec un tracteur, je crains d'atterrir sur le tracteur. Changement de direction vers une colline assez dégagée, mais en m'approchant je découvre un fil de fer barbelé juste sous moi à une dizaine mètres d'altitude. Je tire sur la sangle de gauche ce qui m'incline du même côté (comme sur une moto on penche dans les virages) et j'évite le barbelé, mais je touche le sol, sans freinage, sur la jambe gauche et je hurle de douleur au niveau de la cheville (la botte non lacée n'ayant pas fait l'effet de la maintenir).
Tout le monde peut faire une erreur dans un saut, mais là j'ai fait fort: 1) les bottes, 2) la perte de temps au largage, 3) plusieurs changement de direction, dont le dernier, 4) à moins de cent mètres d'altitudes.
La fille, qui était dans le même avion, a vu où je me suis posé et a donné l'alerte. Quelques instants plus tard une ambulance m'enmenait à l'hôpital de Fribourg.

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Mon carnets de sauts

J'ai refusé de me faire opérer à Fribourg car, habitant Lausanne, il était plus facile pour mon épouse de venir me trouver. Donc on me fit un plâtre pour aller dans l'hôpital vaudois et je retournai à l'aérodrome d'Ecuvillens, ma femme avertie de mon accident était venue avec des amis afin de rapatrier notre voiture.
Toute l'équipe de paras m'accueillirent chaleureusement et, spécialement, la fille qui avait partagé l'avion avec moi et avait appelé les secours.
- Tu reviendras rapidement, me dit-elle, j'espère que ce n'est pas une cheville cassée qui te fera arrêter de sauter !
Je rassurai tout le monde en leur disant que dès que ce serait réparé je serai de retour.

J'était convaincu que je continuerai de sauter, quand, une semaine après mon accident Liliane, mon épouse, m'apporta, lors d'une de ses visites, le journal local qui annonçait : " Grave accident, une parachutiste se tue à Ecuvillens !"
C'était la fille qui avait sauté avec moi et qui m'avait encouragé à continuer cette activité. Son parachute s'était mis en torche et elle s'était écrasé au sol…

Ce fut un choc pour moi, à une semaine d'intervalle mon accident (une broutille) en sa présence et sa mort fut le déclencheur. Plus jamais je ne sauterai !
Une fois ma cheville remise… sur pied (lol) je suis retourné à l'aérodrome pour demander de pouvoir utiliser le solde de l'argent versé pour les sauts pour prendre des cours de pilote. Comme vous pouvez le voir ci-dessus la licence provisoire était valable pour piloter un avion.
Je commençai ces cours que je ne pus finir, hélas, faute de moyens. Dans l'intervalle, ma femme avait demandé le divorce et la pension que je devais lui verser grevait mon budget et me condamnais à stopper le pilotage.

Je pris conscience quelques mois plus tard que je ne faisais plus ces affreux cauchemars, comme à l'époque où je sautais, de chutes dans le vide avec un réveil brutal lorsque je m'écrasais au sol par un brusque saut dans mon lit.
Comme quoi ce n'est pas très naturel de se jeter dans le vide, même avec un parachute…